Extract

Ceci est une réédition de l’ouvrage paru sous le même titre en 2015, qui réunissait plusieurs articles de Laurent Thirouin. Il se voit enrichi d’une analyse d’un fragment difficile et d’une enquête sur l’apparition du mot ‘apologie’ dans la critique pascalienne. Sa richesse et sa finesse interdisent tout effort de synthèse, mais on peut souligner ce par quoi il s’affirme comme un événement, clôturant moins une époque qu’en ouvrant une nouvelle: celle de la prise en compte du classement des liasses, effectué par Pascal lui-même en 1658 ou en 1660. Convaincu qu’on ne peut obtenir une ‘disposition réellement ordonnée du discours’ (p. 108), critiquant avec Montaigne le ‘défaut d’une droite méthode’, Pascal n’abandonne en effet pas l’ordre, mais il en invente un qui tient ensemble les exigences d’une vérité toujours composite et l’impossibilité de la linéarité. Il obtient une disposition faite de va-et-vient perpétuels et accomplit ainsi un ‘geste philosophique original’ (p. 17), analysé dans les études classiques et définitives sur les premières liasses des Pensées. L’auteur, montrant que Pascal orchestre une pensée ‘dialectique’ (p. 156), renouvelle notre compréhension de la ‘vanité’, celle de la raison des effets, à laquelle est consacrée une étude magistrale, et celle de la ‘contrariété’, échec lumineux en ce qu’il prévoit un nouveau départ. Lequel? Celui qu’inaugure, ou fait apparaître en toute clarté, la liasse ‘Divertissement’, réorientant le parcours des liasses vers la question désormais décisive: comment répondre à la volonté indéracinable de bonheur? Après le ‘cycle du divertissement’, là encore magnifiquement analysé, vient le temps de la transition, dont le cœur est la manière d’accéder à Dieu: faut-il faire appel à la toute-puissance de la raison ou au contraire la dompter tout entière comme le font les superstitieux, analysés dans ‘Pascal et la superstition’? Il faut bien plutôt interroger les prétentions de la raison, les mettre à plat, pour ainsi dire, et en prendre acte. C’est le rôle de la liasse ‘Transition de la connaissance de Dieu à l’homme’, séparant définitivement la pensée humaine de sa capacité à communiquer directement avec Dieu, non pour l’abandonner à sa passivité, mais pour en reconnaître la ‘dignité’: c’est en reconnaissant son infirmité qu’elle gagne sa grandeur. Bien des voies s’ouvrent (tandis que d’autres se referment) grâce au livre de Thirouin. On retiendra surtout un point de méthode et un point d’interprétation. Quant à la méthode, il faut désormais acter du fait que la ‘liasse’ n’est pas pour Pascal un assemblage thématique de fragments, mais une unité argumentative, proposant un éclairage particulier sur des phénomènes que l’on peut retrouver dans différentes liasses — d’où la nécessaire prise en compte du contexte dans lequel est glissé tel fragment — et s’insérant dans une architecture globale — d’où la nécessaire prise en compte du rapport entre les liasses. Quant à l’interprétation, une conviction, qui hante la pensée de Pascal, traverse tout l’ouvrage: ‘la manière [est] aussi importante que la chose, et peut-être plus’ (cité p. 64). Voilà dénoncées en particulier toutes les idolâtries religieuses qui oublient que compte avant tout la manière de recevoir ce qui nous est offert — si on sait la demander.

You do not currently have access to this article.